Un oscillateur explore un double puits de potentiel asymétrique Uinitial(x) (en vert) sous l’effet de l’agitation thermique, il est statistiquement plus souvent à gauche, dans le puits de plus faible énergie (distribution de position Pinitial(x) en bleu) © Ludovic Bellon

Les statistiques contre-intuitives de la thermodynamique à l’échelle microscopique

Résultat scientifique

Des expériences sur un système microscopique classique démontrent que si le second principe de la thermodynamique est toujours valable en moyenne, il peut être contourné expérimentalement dans 95 % des cas !

Basée sur les notions d'échange d'énergie et de création d’entropie, le second principe de la thermodynamique prescrit quelles transformations sont possibles, comme la fonte d'un glaçon à température ambiante, et lesquelles ne le sont pas, comme le mouvement perpétuel. Ce principe, formulé par Carnot il y a 200 ans, a accompagné la révolution industrielle du XIXème siècle et la compréhension du fonctionnement de ses machines à vapeur. Il établit par exemple que pour accroître l’énergie disponible d’un système, le travail à fournir est toujours supérieur à l’augmentation d’énergie du système : des pertes thermiques dans l’environnement sont inéluctables.

Le second principe de la thermodynamique reste incontournable de nos jours pour décrire et expliquer les échanges d'énergie, bien au-delà de ses applications en mécanique. Les avancées technologiques permettent désormais de sonder l’origine microscopique de ce principe. Cependant, pour les systèmes de très petite taille, un rôle majeur est joué par les fluctuations et le hasard, manifestations microscopiques du concept de température. Le second principe n’est alors vrai que statistiquement, sur les valeurs moyennes. Corrélativement, des événements impossibles à plus grande échelle peuvent parfois être observés, violant apparemment le second principe : sur une fraction des expériences, l’énergie libre créée peut être supérieure au travail de l’opérateur, les fluctuations thermiques jouant dans ces cas précis en sa faveur. Intuitivement, on imagine que cette fraction doit être faible. Si cela est vrai dans la plupart des cas, aucune borne supérieure pour cette fraction n’est fixée par des contraintes inhérentes à la théorie.

Pour tenter de maximiser la probabilité de tels événements, des chercheurs du Laboratoire de Physique (LPENSL, CNRS / ENS de Lyon) ont réalisé une expérience sur un système mécanique classique et continu, en se fondant sur des propositions théoriques antérieures développées sur les systèmes discrets à deux états énergétiques. Un oscillateur de dimension microscopique (un levier conducteur) se déplace dans un champ électrique variable qui induit une énergie potentielle en forme de double puits pour le résonateur (voir figure). En modifiant la symétrie du champ électrique, l’un des puits devient métastable, mais les fluctuations thermiques permettent au levier de visiter alternativement les deux minimas locaux, avec une statistique défavorable au puits supérieur. Une variation rapide du champ électrique vers plus d’asymétrie augmente toujours l’énergie libre du système, mais n’induit un travail pour l’opérateur que si l’oscillateur est dans le puits métastable : la plupart du temps, le travail est donc nul alors que l’énergie augmente. En choisissant soigneusement le protocole, les chercheurs ont été en mesure d'observer ces violations singulières du second principe de la thermodynamique dans près de 95 % des expériences. Néanmoins, un travail très important est fourni dans les expériences restantes, ce qui garantit que le second principe reste toujours valide en moyenne. Ces expériences mettent ainsi en lumière le caractère singulier des échanges d’énergie dans les systèmes microscopiques, et l’importance cruciale des fluctuations pour comprendre les statistiques parfois contre-intuitives à ces échelles. Ces travaux sont publiés dans les Physical Review Letters.

Illustration Bellon
Figure : Un oscillateur explore un double puits de potentiel asymétrique Uinitial(x) (en vert) sous l’effet de l’agitation thermique, il est statistiquement plus souvent à gauche, dans le puits de plus faible énergie (distribution de position Pinitial(x) en bleu). En modifiant instantanément le potentiel vers plus d’asymétrie (Ufinal(x), en rouge), on augmente l’énergie libre du système F. Le travail W effectué dans cette opération est le plus souvent nul (oscillateur à gauche, W=0<∆F), et mais sa moyenne est compensée par les expériences initiées avec un oscillateur à droite (W>0) © Ludovic Bellon.

Référence

Probabilistic Work Extraction on a Classical Oscillator Beyond the Second Law, Nicolas Barros, Sergio Ciliberto, et Ludovic Bellon, Physical Review Letters, publié le 31 juillet 2024.
Doi : 10.1103/PhysRevLett.133.057101
Archives ouvertes : arXiv 

Contact

Ludovic Bellon
Directeur de recherche CNRS, Laboratoire de physique de l'ENS Lyon (LPENSL)
Communication CNRS Physique