La composition de surfaces cométaires révélée par des micrométéorites antarctiques

Résultat scientifique

Un programme de collecte de poussières extraterrestres mené en Antarctique a recueilli des micrométéorites anormalement riches en carbone, provenant très probablement de surfaces cométaires. L’analyse isotopique de ces particules exceptionnelles révèle une matière organique vraisemblablement formée lors de l’irradiation de la surface des comètes par le rayonnement cosmique. 

Les comètes sont les objets les plus lointains liés à notre étoile, le Soleil. Leur étude, ainsi que celle des astéroïdes, permet de remonter au contexte astrophysique de formation du système solaire et son évolution précoce. Leur étude in situ étant difficile, et le nombre de missions ayant réussi cet exploit étant insuffisant pour obtenir une vision globale de leur composition, l’étude des météorites et des micrométéorites reste donc à ce jour une voie incontournable pour comprendre l’histoire du système solaire. Mais, alors que la très grande majorité des météorites sont issues des astéroïdes, les micrométéorites, poussières extraterrestres de taille comprise entre quelques dizaines à centaines de micromètres, sont majoritairement d’origine cométaire. Elles proviennent de distances plus lointaines et froides que celles où orbitent les astéroïdes et constituent ainsi un marqueur géochimique à part entière. Les expéditions menées par scientifiques du laboratoire de physique des 2 infinis Irène Joliot Curie (IJCLab) depuis près de deux décennies au Dôme C, situé à proximité de la station scientifique franco-italienne Concordia au centre de l’Antarctique, grâce au soutien de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV), ont permis de rassembler une collection de poussières extraterrestres unique au monde. 

Certaines de ces particules présentent des concentrations en carbone exceptionnelles, les Micro-Météorites Antarctiques Ultracarbonées (UCAMMs). Une collaboration menée par des chercheurs français du CNRS1 avec des chercheurs américains de la Carnegie Institution, Arizona State University et du Naval Research Laboratory ont effectué, par spectrométrie de masse à émission ionique secondaire, la première étude systématique de la composition isotopique des éléments légers (hydrogène, carbone, azote) dans les UCAMMs. L’analyse de la composante carbonée des UCAMMs révèle un mélange de matières organiques dont les rapports isotopiques sont très différents de ceux observés sur Terre. La composition isotopique de l’azote dans une composante organique des UCAMMs est comparable à celle du Soleil, indiquant que la matière organique de certaines UCAMMs s’est formée à partir du réservoir primordial d’Azote (N2) du système solaire. D’autres composantes organiques présentent des rapports 15N/14N très supérieurs, similaires à ceux observées dans certaines météorites primitives ou dans des poussières interplanétaires collectées par la NASA, indiquant une formation à partir de réservoirs secondaires ayant subi des processus de fractionnement isotopique dans le disque protoplanétaire.

La matière organique des UCAMMs s’est très probablement formée à la surface de comètes lors de l’irradiation de glaces riches en azote par le rayonnement cosmique provenant de notre Galaxie. Les données obtenues au cours de cette étude permettent de lever le voile sur la composition isotopique des manteaux glacés cométaires. Situées dans la ceinture de Kuiper ou le nuage de Oort, bien au-delà des orbites des planètes géantes glacées (Uranus et Neptune), les comètes sont des objets glacés extrêmement difficiles d’accès pour lesquels nous ne disposons que d’informations réduites. L’étude de micrométéorites riches en matière organique ouvre donc une nouvelle fenêtre pour l’étude de la composition des glaces présentes à la surface des comètes. Leur matière organique représente une archive exceptionnelle des réservoirs d’éléments volatils condensés à la surface des objets les plus froids du système solaire. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Astronomy.

Figure : (en haut) Scénario de formation de la matière organique des micrométéorites cométaires.  (1) Des réservoirs de molécules organiques azotées avec des compositions isotopiques distinctes coexistent dans le disque protoplanétaire. (2) Ces molécules condensent sous forme de manteaux de glaces à la surface de comètes dans les régions externes (au-delà de la planète Neptune). Ces glaces sont irradiées par les rayonnements cosmiques galactiques (RCG). (3) Après sublimation des glaces, un résidu organique réfractaire (une croûte) se forme sur la surface cométaire. (4) Lors de leur entrée dans le système solaire interne, des poussières riches en matière organique (les UCAMMs) sont éjectées des surfaces cométaires. Une très faible proportion de ces poussières peut se trouver capturée par notre planète puis collectée dans les neiges antarctiques. 
  • 1Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie (IMPMC, CNRS / MNHN, Sorbonne Université), Laboratoire de physique des 2 infinis - Irène Joliot-Curie (IJCLab, CNRS / Université Paris-Saclay), Institut des Sciences Moléculaires d'Orsay (ISMO, CNRS / Université Paris-Saclay), Multimodal Imaging Center (Centre d'Imagerie Multimodale) (MIC, CNRS / INSERM / Institut Curie / Université Paris-Saclay)
Micrométéorite ultra-carbonée (image en microscopie électronique à balayage, 20 µm = 0,02 millimètres).La matière organique visible sur la partie haute de la particule a très été formée à la surface d’une comète lors de l’irradiation de glaces par le rayonnement cosmique galactique.

Référence

Nitrogen organics from comets probed by ultra-carbonaceous Antarctic micrometeorites, J. Rojas, J. Duprat, E. Dartois, T-D. Wu, C. Engrand, L. R. Nittler, N. Bardin, L. Delauche, S. Mostefaoui, L. Rémusat, R. M. Stroud, B. Guérin, Nature Astronomy, publié le 10 septembre 2024.
Doi : 10.1038/s41550-024-02364-y

Contact

Jean Duprat
Directeur de recherche CNRS, Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie (IMPMC)
Emmanuel Dartois
Directeur de recherche CNRS, Institut des Sciences Moléculaires d'Orsay (ISMO)
Julien Rojas
Carnegie Institution
Communication CNRS Physique